Histoire en pièces

« 62. Notre héritage n’est précédé d’aucun testament. 63. On ne se bat bien que pour les causes qu’on modèle soi-même et avec lesquelles on se brûle en s’identifiant. » René Char, Feuillets d’Hypnos.

Les faits historiques, tout comme et comme tout fait scientifique, n’existent pas sans un scientifique pour leur donner leur raison d’être, leur forme de fait. Les faits sont faits aussi bien en science qu’en histoire et il n’existe donc de passé qu’à travers les historiens qui le pensent depuis le présent.
Si j’aime cette citation de René Char, « Notre héritage n’est précédé d’aucun testament », c’est parce qu’elle me rappelle que l’histoire n’est pas un passé voué à se répéter, ce n’est pas une forme de pacte entre le passé et le présent. L’histoire c’est tout au contraire l’interrogation du présent vers le passé, c’est un changement de regard, un détournement du passé vers le présent.

Inspectons donc notre présent. La numérisation de notre société, et j’entends par là le fait de mettre tout en chiffre, la rigidification des opinions, le matérialisme et la forme moderne du capitalisme ont fait de notre présent un contexte de crise. Crise climatique, crise économique, crise politique, crise humanitaire.
Une recherche dans un dictionnaire étymologique m’indique que le mot « crise » avait à l’origine latine un sens médical. En 1685 il pouvait signifier un « accès psychologique à manifestations violentes ». Ne sommes-nous pas dans une société ayant un accès psychologique ? Nos manifestations violentes ne sont-elles pas dirigées vers ce qui nous est de plus cher, à savoir la nature, notre nature.

Il y a aujourd’hui des politiciens qui prétendent que l’écologie est un programme économique à mener. Réductions fiscales, taxes carbones, marché carbone. Ces externalités que seraient les pollutions seraient dissoutes en les incluant dans un système qui les a fait proliférer.
Après tout, quoi de plus naturel ? Nous avons tous notre fonction d’utilité économique, notre désir de maximiser notre bonheur selon l’argent à notre disposition. Les externalités négatives suffiraient à être citées pour faire diminuer leur apparition.
Mais est-ce vraiment si naturel ? N’y a-t-il pas là l’erreur du nombrilisme ? L’homme a-t-il réellement ces conceptions économiques en lui ? Est-il vraiment l’homo economicus ?

Sylvain Piron est historien, médiéviste, à l’EHESS. Il a signé cette année son second livre pour la maison d’édition Zones sensibles, intitulé « L’occupation du monde ».

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